Peuple schizophrène, Identité Caribéenne
- USC Media
- 3 years ago
Il n’y a pas de bonnes manières de commencer cet article. Beaucoup de choses se disent, beaucoup d’informations circulent que ce soit par le biais des réseaux sociaux ou du simple bouche-à-oreille. J’ose y ajouter ma contribution pour que ces temps troublés nous servent à nous diriger vers une porte de sortie idoine.
La Guadeloupe et la Martinique sont depuis le 19 Novembre 2021 en proie à de fortes violences; résultats d’une colère justifiée mais qui n’a jamais été entendue. Tout commence avec un refus de l’obligation vaccinale pour les personnels soignants menacés d’être licenciés et du pass sanitaire. Ce refus ne date pas d’hier mais a bien débuté depuis des mois. Les syndicats des établissements hospitaliers et médicaux se sont tout naturellement penchés vers des négociations avec l’organe central décideur, que beaucoup encore appellent ‘Métropole’, à coup de lettres ouvertes. Ces tentatives de gérer la situation de manière apaisée n’ont pas abouti et les appels d’une grève générale prennent le dessus.
La situation dégénère et la violence semble être la réponse la plus appropriée pour se faire entendre. La suite, vous la connaissez. Pour reprendre les termes de Claudy Siar, nous voyons apparaître des barrages sur les axes routiers des îles-soeurs mais aussi des “coupeurs de route”. Terme, qui je pense, n’a pas été choisi par hasard car il définit les bandes organisées armées qui agressent les automobilistes et qui sévissent principalement en Afrique sub-saharienne.
Mais ce qui est important ici, c’est que la crise sanitaire n’a finalement été que le détonateur d’un mal-être bien plus profond mais qui ne nous surprend pas. Une crise sanitaire à laquelle se greffe une crise structurelle (organisation et exercice du pouvoir) mais aussi identitaire. La réalité est glaçante car un peu moins du tiers de la population martiniquaise et guadeloupéenne vit sous le seuil de pauvreté. Constat inadmissible pour des régions françaises. Une incohérence qui indubitablement soulève notre passé esclavagiste et colonial et qui chamboule une énième fois nos rapports à cette dite ‘Métropole’. Aussi, la parole gouvernementale n'a plus de valeur dans la Caraïbe depuis le scandale de la chlordécone. En effet, l’ignorance voire pire, l’indifférence du gouvernement sont ressentis comme un manque de considération et tant pis si les sols sont pollués pour au moins 600 années ou que le taux de cancers de la prostate est le plus élevé au monde. Cette parole venant d’ailleurs n’aura certainement pas de poids face à la vaccination. Et puis enfin, cet article ne serait pas complet s'il ne mentionne pas nos revendications de 2009 contre la vie chère. Je suis consternée de voir qu’après un mois de “pays lock” (terme emprunté à Haïti pour décrire un pays bloqué), il n’y a eu aucun changement. 12 ans après.
En posant dans le titre “peuple schizophrène'', entendez-moi bien sur cet emploi. Depuis la loi de départementalisation de 1946, dans les textes, ces territoires caribéens jouissent pleinement d’un statut-quo avec les autres régions continentales. Mais qu’en est-il vraiment au vu de ces inégalités ? Faisons-nous réellement partie de l’Archipel français ? Je vais m’en tenir à l’expression simple du peuple qui crie au néocolonialisme pour y répondre. Je vais m’en tenir au refus de l’ouverture de l’école panafricaine en Guadeloupe pour y répondre. Je vais également m’en tenir à l’émergence des organisations pour une autonomie, un patriotisme caribéen pour y répondre. Et la réponse est cinglante. Nous ne sommes pas ‘Outre-mer’ mais bien dans notre mer, mer des Caraïbes.
Peuple schizophrène car nous tentons dans notre identité de lier ce qui n’est pas liable. Il est temps de se rendre à l’évidence. La France ne regarde pas dans notre direction, elle n’y comprend simplement rien. Elle doit exister dans son continent, nous devons exister dans notre région. Inlassablement, nous n’arrêtons pas de minimiser notre intérêt pour les actions que nous devons à nos racines africaines et aux expériences des États indépendants caribéens au profit du renforcement de l'identité française - qui n’est pas la nôtre.
Peuple schizophrène car il croit qu’il a été découvert par un navigateur colon du nom de Christophe Colomb et sans qui notre civilisation n’existe pas. A ceux-là, j’aimerais leur rappeler notre grandeur noire et nos ancêtres amérindiens. Mais je vous rassure, vous n’êtes pas les seuls. Puerto Rico, 52e État des États-Unis d’Amérique continue de célébrer ce meurtrier comme nous continuons de célébrer Victor Schoelcher pour notre abolition de l’esclavage.
Peuple schizophrène parce que je n’ose même pas penser à ces caribéens expatriés qui s’offusquent de voir éclater une telle violence et qui s’excusent auprès de leurs collègues et ami.e.s blancs ‘français’ d’un comportement de sauvages. C’est vrai que ça fait moche à la télé nationale.
Peuple schizophrène car il continue à nommer les oignons du territoire “oignon péyi”. Il s'arc boute à rajouter cette étiquette ‘péyi’ pour se réapproprier ce qui est déjà à lui. Pour moi, il existe un oignon et un oignon “France”. Ce même principe s'applique avec les fruits dits 'exotiques' quand ils sont en réalité locaux. Ce genre d'amalgames, certainement inconscient, montre bien notre prédisposition à vouloir adopter une vision occidentale lorsque nous le sommes pas.
Cependant, je tiens tout de même à montrer les initiatives collectives caribéennes que j’ai vu naître pour la sauvegarde de notre peuple et qui concrétisent nos espoirs d’un peuple conscient et soudé.
La plateforme Iléco qui montre en temps réel les barrages sur la Martinique. Une initiative qui porte deux messages. Faisons avec car les barrages sont légitimes, trouvons des alternatives. Explorons les opportunités du digital comme issue au chômage des jeunes et devenons des “Caribbean Startup islands”.
L'autonomie alimentaire est un virage crucial pour déjouer le monopole économique des békés. Des organismes s’engagent à atteindre cet objectif. J’en nommerai quelques-unes en Martinique : Ta Nou Bio, Cerise Péyi, Ti Pyé Koko...
Et j’en passe… Il serait peut être intéressant de dresser une cartographie des acteurs de l’autonomie. Peut-être au prochain article.
Nous devons rester concentrés. Et si M. Lecornu (Ministre des Outre-mer) a prononcé le mot “autonomie”, ne nous dispersons pas. Comme des entrepreneur.e.s acharné.e.s et compétent.e.s, faisons un plan. Mettons-nous des objectifs atteignables et lucides. Il n’est pas question de céder aux menaces de la République française à moins de 6 mois des élections présidentielles. Visons une année précise (2040?) où tous les penseurs et acteurs caribéens montreront comment nous sommes capables de nous prendre en main, où tous les axes devront être abordés. L’éducation en tête de file.
Alors, cet essai met les choses à plat. Il n’aura pas d’ambition politique car je ne m’y connais pas assez; mais il aura vocation à se tourner vers l'avenir. Il pourra prendre toutes les formes décoloniales et émancipatrices possibles, à commencer par bannir tous les termes qui font obstacle à notre “prise en main” : Métropole, Outre-Mer et Antillais. Oui, je privilégierai le terme Caribéen pour définir mon identité. “Antillais” renvoie à un statut d’entre-deux, qui place les îles créolophones sous le joug néocolonial français et dans un exotisme français. La dimension caribéenne, quant à elle, nous rappelle notre appartenance au bassin.
USC pour United States of the Caribbean m’est apparu comme dans un songe et tentera d’apporter sa pierre à l’édifice du chemin de l’émancipation. A ceux qui me diront que je suis utopiste, je leur répondrai ‘I have a dream’. A ceux qui se reconnaissent dans cette démarche, je leur dirai ‘Travaillons ensemble, nous sommes à la hauteur de ce défi, il faut intelligemment mais toujours au regard de nôtre objectif d’une Caraïbe Unie, passer les barrages. Il y va de notre survie”.
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